Le first24 de Jacques
Loin des contraintes du croiseur lourd qui ne peut guère quitter son bassin de croisière, l'habitable transportable ouvre un programme renouvelé pour un budget modeste. Conseils et expérience d'un habitué de la formule.
Depuis dix-huit ans, Jacques navigue sur un voilier transportable, alternant croisières le long des côtes de France, navigations sur les canaux et, tous les deux ou trois ans, voyages à l'étranger. Enseignant en physique ou en biologie, résidant à quelques kilomètres de son port d'attache, notre amateur navigue à bord de son First 24 de deux cent à deux cent cinquante jours par an. Après avoir débuté avec un bateau de 5,50m de construction locale, ayant possédé un Kelt 707, le First 24 a été choisi il y a quelques années pour la hauteur sous barrots offerte sous la descente, le coin toilette et sa capacité d'accueil, compatibles avec des croisières de deux mois pour un couple et deux enfants. Sans dépasser des limites budgétaires raisonnables, disposant de place et de temps, Jacques, bricoleur de talent, a adopté des solutions personnelles dictées par l'expérience et le goût d'améliorer performances et confort en navigation.
"Basé en Normandie, nos croisières ordinaires ont pour objectif Jersey, Guernesey ou les Côtes de Bretagne Nord, parfois l'Angleterre dès que le temps disponible se prolonge, explique Jacques. En transportant nos bateaux nous sommes allés plusieurs fois sur la côte d'Azur, en Corse, en Sardaigne, en Italie, nous nous sommes également rendus au Danemark, en Suède, dans d'autres régions de la Baltique et cette année nous partons en Yougoslavie."

Le bateau sur sa remorque, de fortes sangles rendent l'ensemble solidaire.
Avec un bateau au maximum des dimensions autorisées pour le transport routier, à la fois en taille et en poids, beaucoup de propriétaires de bateaux similaires hésitent à se lancer sur les routes, l'achat d'une bonne remorque et d'une voiture puissante faisant augmenter le budget du transportable à celui d'un croiseur lourd.
"Pour ma part, j'ai toujours tracté mes bateaux avec une voiture diesel, explique Jacques, mais je n'achète que des voitures d'occasion, de vieilles CX de huit ou neuf ans d'âge dont la caisse est excellente, qui ne coûtent pas cher et sur lesquelles je monte moi-même un moteur neuf pour environ 15 000F. Ainsi équipé, on peut faire 300 000 kilomètres sans problème. Sur la route, l'attelage, bateau et voiture, mesure quatorze mètres de long. Pour la conduite, c'est une question d'habitude et de programmation de son itinéraire."
"De même, j'ai acheté ma remorque d'occasion: entièrement refaite, adaptée au bateau, repeinte avec deux couches d'époxy, elle est comme neuve. Mais il faut absolument privilégier une remorque dotée de deux essieux. Pour la mise à l'eau, un timon cassant est indispensable ainsi qu'un bon treuil autobloquant fonctionnant dans les deux sens. Pour un bateau de 1500 kg comme le First 24, il faut pouvoir disposer d'une puissance de développement d'environ 4500kg."
"Sur la route , il faut avant tout équilibrer la charge entre voiture et remorque. Pour ce faire, je vide entièrement le bateau et charge le matériel de sécurité, les mouillages les moteurs dans la voiture. Cela fait un véhicule bien plein, mais instruits par l'habitude, nous n'emportons que très peu de vêtements. Nous empruntons essentiellement des itinéraires autoroutiers et avant de partir, j'effectue toujours 40 à 50 kilomètres à pleine charge pour contrôler l'équilibre de l'attelage et le freinage. Il est important de sur gonfler tous les pneus de 400 à 500 grammes, sinon l'ensemble tressaute sur la route. Une bonne solution consiste aussi à équiper la voiture de deux systèmes simples un aquapast monté sur le circuit de refroidissement qui déclenche à basse température, environ 80°, et un double ventilateur à commande manuelle. Cela présente un intérêt dans les régions accidentées: en descente on déclenche le second ventilateur ce qui permet d'abaisser la température et d'éviter de chauffer lorsqu'on remonte."
L'une des difficultés, une fois arrivé sur place, consiste laisser en sécurité voiture et remorque pendant que l'on part naviguer, parfois pendant plusieurs semaines. Solution originale, qu'il est possible d'adopter dans de nombreux pays, Jacques a constaté que les loueurs de camping-cars ou de caravanes disposent l'été de parkings vides. L'expérience prouve que les tarifs demandés par ces professionnels pour le séjour de la voiture et de la remorque (généralement 300 à 500 F) sont très inférieur à ceux pratiqués par les garagistes, voire les clubs nautiques disposant d'emprises fermés.
"Depuis toujours, nous naviguons à deux bateaux, poursuit Jacques, l'un de mes amis, également enseignant, disposant d'un Téquila sport que nous avons modifié ensemble. Cela ajoute à l'agrément de la croisière et à la sécurité à laquelle nous attachons beaucoup d'importance. A force de naviguer de cette façon depuis des années, nous avons modifié nos bateaux, parfois avec des solutions très personnelles, pour les rendre plus propres à notre utilisation."
"Nous avons ainsi monté des jupes arrière et mon first24 est doté d'un appendice de 1,70m. Ce n'est pas très compliqué à réaliser par un amateur, mais il faut du temps. Nous prenons une tôle d'acier laqué d'environ 5m sur 3m que nous adaptons à la forme de l'arrière du bateau, la courbant et l'appliquant fortement sur l'arrière avec des sangles d'arrimage à cliquet utilisées par les camionneurs. On passe alors une couche de cire démoulante et deux couches de gel-coat de la couleur du bateau avant d'alterner une douzaine de couches de mat et de roving. On place ensuite des systèmes d'équerres, des plaques d'acier qui tiennent le tout à la coque, on monte la jaumière du gouvernail et on opère une nouvelle stratification par-dessus une épaisseur de mousse. Cela fait un ensemble rigide et léger auquel on donne une forme esthétique à la meule électrique. A l'arrière de la jupe, nous avons disposé un petit puits de dérive: on y enfonce une lame qui au portant donne une excellente stabilités de route."

Réfection de l'antifouling.
Pour plus de facilité de manœuvre, le bateau a été équipé d'une prise de ris automatique avec retour au cockpit. Un bas-étai permet le cas échéant d'envoyer un tourmentin sans toucher à l'enrouleur. Le grand coffre situé sous le banc du cockpit a été cloisonné de façon à perdre le moins de place possible. Un plancher amovible permet de disposer de deux niveaux, trois équipets fermés sont installés en hauteur dans l'espace généralement mal employé sous l'hiloire et reçoivent les outils du bord. Dans la cabine, de part et d'autre de la descente, sont disposés extincteurs, torches et gaffes toujours à portée de main et des penderies et des équipets supplémentaires ont été aménagés dans la cabine arrière. La cuisine, assez rustique sur la version d'origine, a été améliorée et le bateau équipé d'un petit réfrigérateur à compression.
"Le grand problème sur un si petit bateau, c'est l'énergie, confie Jacques. J'ai à bord quatre batteries: deux de 196 ampères pour le frigo, une de 196 ampères pour l'équipement électriques et électronique, et une de 70 ampères réservé uniquement pour l'alimentation du pilote. Tout le câblage a été réalisé en monofil et un tableau me permet de vérifier en permanence le décharge des batteries. J'ai également aménagé à bord une réserve d'eau de 200 litres. Pour la propulsion, j'utilise deux moteurs hors-bords: un 9,9 quatre temps et un vieux Yamaha 5ch à refroidissement par air, qui démarre à tous les coups et peut aussi servir en dépannage pour le bateau que pour les déplacements en annexe. Un réservoir complémentaire fixe permet de gagner en autonomie. Quand on navigue à l'étranger, deux moteurs ce n'est pas de trop et il m'est même arrivé d'en avoir trois."
"Pour le moteur qui se trouve puits, je trouve qu'il est bon de rajouter deux anodes supplémentaires, surtout en méditerranée ou la salinité supérieure de l'eau corrode davantage. Au lieu d'antifouling, à force de tâtonner, j'ai trouvé par hasard un truc pour protéger l'embase: en début de saison je passe deux couches de vernis vinylique. J'ignore ce qu'il peut y avoir dans ce type de vernis qui repousse les bestioles, mais j'ai une embase impeccable !"
La philosophie de ce genre d'activité, c'est l'indépendance, l'autonomie totale en voyage. Un habitable transportable à quille relevable se passe de port et le first 24 permet d'aborder dans très peu d'eau en Baltique ou en méditerranée. Mais tous les plaisirs ont leurs exigences et avant chaque départ à l'étranger Jacques se rend en repérage sur les lieux de ses prochaines vacances, tant pour reconnaître les itinéraires routiers que pour contrôler les informations obtenues en France sur les ports et les formalités pour les bateaux étrangers, ambassades et consulats ne fournissant que des informations vagues ou inutilisables.
"Pour quelqu'un qui serait tenté par ce type de pratique, mon conseil serait de commencer par la côte d'Azur, peut-être par la Corse qui est sans doute le plus bel endroit que j'ai visité jusqu'à présent. Il faut savoir que les pays du Nord sont plus difficiles que ceux du Sud, à la fois pour le bateau et l'accessibilité en voiture. En revanche, l'accueil des pays du Nord est extraordinaire, je garde un excellent souvenir du Danemark."
"Il faut soigner les relations avec les gens, et tout l'intérêt de naviguer en famille avec un petit bateau fait que l'on est adopté facilement partout. Les contacts avec les pêcheurs, avec les gens chez qui l'on aborde, notamment dans les îles privées de la baltique, sont très facilitées. Le fait que je navigue ainsi suppose également que je prenne en considération les gens que je rencontre. Naviguer ainsi depuis près de vingt ans m'a permis de voir beaucoup plus de chose que si j'avais eu une unité plus importante. Je n'envisage absolument pas de changer de formule et n'ai pas du tout envie d'avoir un bateau plus grand."
Bateaux Avril 1992.